Miroir de bronze sankakubuchishinjû (décembre 2011)
Sankakubuchi : lignes de triangles
Shin : divinité
Jû : bête
Kyô : miroir
Soit le miroir à décor de lignes de triangles, divinités et bêtes.
Sous ce nom, à première vue barbare, se cache une variété de miroir en bronze très importante lorsque l’on s’intéresse à la période des kofun (env. 250 à 538 de notre ère).
Inspiré des miroirs de bronze chinois, ce type de miroir ne se retrouve que dans l’archipel japonais et pose la question de sa provenance.
Retrouvés en très grand nombre dans les tumulus de l’élite japonaise de l’époque (les kofun, prononcez « kofoune », de ko : ancien etfun : tumulus), ce sont des objets de prestige mais également des symboles de pouvoir religieux et politique.
La passion des japonais de la protohistoire pour les miroirs chinois
Bien que la culture chinoise se soit diffusée à la fois dans la péninsule coréenne et dans l’archipel japonais dès l’âge du bronze (les Han ont étendu la domination militaire de leur empire jusque dans la partie nord de la péninsule coréenne et leur influence culturelle par le commerce et les relations diplomatiques), on peut observer, à travers les fouilles archéologiques, des différences de goût entre péninsule et archipel. Et les anciens japonais étaient de véritables fans de miroirs, si j’ose dire.
Ils ont d’abord commencé par importer des miroirs en bronze coréens à l’époque Yayoi, décorés de lignes en zigzag, puis, dès qu’il ont eu accès aux miroirs chinois, ils ont bien vite oublié les modèles coréens pour adopter les nouveaux : technique beaucoup plus sophistiquée, designs beaucoup plus raffinés, l’objet de luxe par excellence qui accompagne leur propriétaire jusque dans la tombe. Seuls les plus riches des riches peuvent se les offrir, les riches se contentent de copies locales grossières (des contrefaçons en quelque sorte) et le commun des mortels n’y a pas accès. C’est d’ailleurs à cette période, la période Yayoi, qu’on voit apparaitre de sérieuses différences sociales chez les habitants de l’archipel japonais, à travers ce qu’ils déposent dans leur tombe.
Mais les miroirs chinois ne sont pas que de simples objets de luxe à valeur marchande. En archéologie et ethnologie, on les appelle des biens de prestige, car ils renforcent le pouvoir (politique ou religieux… ou les deux à le fois) de celui qui les possède.
Posséder un miroir provenant de Chine, c’est contrôler les échanges commerciaux avec le continent, c’est montrer qu’on a des rapport privilégiés avec un grand empire voisin (donc qu’on a des amis puissants) et c’est également posséder un certain pouvoir « religieux ». Car en Chine ancienne, le miroir avait une fonction en contexte funéraire, celle de protéger le défunt. Dans l’archipel japonais, qui ne connaissait pas l’écriture, c’est plus difficile à déterminer. Cependant, les anciens japonais connaissaient sans nul doute la signification des miroirs chinois puisqu’on les a retrouvés également dans les tombes, autour du défunt comme pour le protéger. Une légende shintoïste nous est également parvenue : celle contant comment la déesse du soleil, Amaterasu, s’étant réfugiée dans une grotte pour fuir les brimades de son frère, avait plongé le monde dans les ténèbres. Elle refusait d’entendre raison et de sortir. Alors une des divinités présente eût l’idée d’attirer l’attention et la curiosité d’Amaterasu à l’aide d’un miroir de bronze, en faisant se refléter le soleil dedans. La ruse fonctionna et le monde retrouva la lumière du soleil.
Il est toutefois impossible de savoir si les anciens japonais aimaient autant les miroirs à cause de cette légende ou bien si la légende est née plus tard, à cause de l’engoument des anciens japonais pour les miroirs.
La spécificité des miroirs sankakubuchishinjû
Les anciens japonais ont importé les miroirs chinois qui leurs étaient contemporains. Donc, en fonction des époques, on retrouve dans les tombes des miroirs de styles différents qui permettent de dater les sépultures. Les miroirs de style et de facture chinois retrouvés sur le sol japonais existent tous en Chine, sauf les sankakubuchishinjû.
Ces miroirs ne se retrouvent que dans l’archipel, dans des kofun (des tumulus de la période éponyme, aux IIIème et IVème siècles de notre ère) et beaucoup d’entre eux sont issus du même moule, donc du même atelier de bronzier (non identifié à ce jour).
Cette particularité est très intéressante pour les archéologues. En effet, la majorité de ces miroirs issus du même moule a été retrouvée dans le kofun de Tsubai Ôtsukayama (préfecture de Kyôto) et les autres exemplaires connus sont répartis dans d’autreskofun de l’archipel. Ce qui sous-entend que la personne inhumée à Tsubai Ôtsukayama (un tumulus de très grande taille avec un mobilier funéraire extrêmement riche) est celle qui a reçu les miroirs et en a redistribué certains à d’autres personnes importantes dans tout l’archipel japonais. Nous sommes dans une période où les leaders du centre de l’archipel tentent d’étendre leur influence sur de plus vastes territoires déjà sous contrôle d’autres leaders et l’échange des miroirs est à la fois un témoignage des relations entre ces différentes personnes importantes à travers tout l’archipel mais probablement aussi un symbole d’alliance, de traité, d’association ou de féodalité entre eux (en l’absence de sources écrites, la nature exacte de ces relations est impossible à définir).
Il reste aux archéologues à trouver qui a fabriqué ces miroirs et où.
Deux des hypothèses les plus plausibles : soit ces miroirs sont fabriqués en Chine exprès pour l’exportation vers l’archipel japonais à la demande d’un important dirigeant (comme la personne inhumée à Tsubai Ôtsukayama), soit ces miroirs ont été produits dans l’archipel même par des bronziers chinois invités par un dirigeant important (comme la personne inhumée à Tsubai Ôtsukayama).
Cependant, dans les deux cas, tant qu’on n’aura pas retrouvé en fouilles l’atelier qui les a produits, on n’en aura pas la preuve formelle.
Article de qualité !
Encore, encore !
Merci