Le pavillon d’argent du Jishô-ji de Kyôto (février 2012)
Son véritable nom est en fait Kannonden du Jishô-ji, c’est à dire le pavillon de Kannon (divinité bouddhique) du temple Jishô.
Mais il est surtout connu en tant que Ginkaku-ji, le temple du pavillon d’argent, pavillon d’argent que vous avez donc sous les yeux (photo personnelle prise en janvier 2004).
Ce bâtiment n’est donc pas le temple à lui tout seul : c’est un des pavillons du temple, bien que généralement « Ginkaku-ji » se réfère uniquement à cette construction extrêmement célèbre.
Un pavillon d’argent… sans argent…
A l’origine, ce pavillon se voulait comme le pendant du célèbre pavillon d’or de Kyôto, le Kinkaku du temple Rokuon-ji de Kyôto (plus connu sous le nom de Kinkaku-ji, le temple du pavillon d’or), édifié selon le souhait du shôgun Ashikaga Yoshimitsu en 1397. A l’origine, c’était une résidence shôgunale puis, à la mort de Yoshimitsu, et selon ses voeux, son fils transforma la villa en temple du bouddhisme zen dont le pavillon fait partie en tant que reliquaire.
C’est le petit fils de Yoshimitsu, le shôgun Ashikaga Yoshimasa qui, sur le modèle de son aïeul, décida de se construire une nouvelle résidence à Kyôto dès 1460 mais il ne put mettre son projet à exécution qu’à partir de 1482, après la fin de la guerre d’Ônin, guerre civile qui mit Kyôto à feu et à sang et les finances du royaume (et donc du shôgun) à sec.
Le « pavillon d’argent » (édifié en 1489) ne fut donc, pour des raisons financières, jamais recouvert des feuilles d’argent qui devaient lui faire égaler la beauté du pavillon d’or et son aspect resta celui d’un bâtiment de bois au style pur et dépouillé tel qu’on peut le voir aujourd’hui.
Un nouveau style architectural dans une période troublée
Le pavillon d’argent est un des trois bâtiments originels de la résidence du shôgun encore conservés et permet d’avoir un aperçu de l’architecture résidentielle de l’époque de Muromachi, de style shoin. Initié dans les résidences privées des supérieurs des monastères zen, et donc très influencé par le bouddhisme zen, le style shoin renouvelle le style architectural shinden en usage depuis l’époque de Heian. Parmi les nouveautés notables de ce style : l’usage de piliers quadrangulaires (jusqu’ici ils étaient circulaires), l’usage des panneaux coulissant recouverts de papier (à la place des murs en bois) et l’habitude de recouvrir le sol de tatami, les nattes en paille de riz en lieu et place des planchers en bois. Tout ce qui, en somme, évoque pour nous l’architecture traditionnelle japonaise.
La partie inférieure du pavillon d’argent était dévolue à la méditation zen et l’étage à la vénération de Kannon. Bordé d’une profonde véranda, le pavillon ouvre sur les jardins (qui sont magnifiques) dont la partie la plus célèbre est le jardin minéral en graviers blancs organisés en divers motifs tracés au râteau.
Le shôgun Ashikaga Yoshimasa est en effet devenu moine bouddhiste en 1485 et c’est selon sa volonté que sa résidence fût transformée en temple bouddhiste de la secte Rinzai après sa mort.
C’est durant le règne de Yoshimasa que se développa la culture dite de Higashiyama (« la montagne de l’est », lieu de sa résidence) qui vit l’essor de la cérémonie du thé, de l’ikebana (l’arrangement floral), du théâtre No, de la peinture à l’encre de Chine (sumi-e) et du concept de wabi-sabi dont je vous parlerai bientôt dans le blog. De tout ce qui symbolise pour beaucoup le « Japon éternel ».
Lettré et passionné d’arts, le shôgun Ashikaga Yoshimasa fût en revanche un piètre dirigeant et il vit son pouvoir s’affaiblir considérablement au cours de son règne.
En contradiction complète avec l’âge d’or artistique que fut cette période, la seconde partie du XVè siècle est marquée par les émeutes populaires, les famines, les catastrophes naturelles, les complots des daimyô (les grands seigneurs des différentes provinces japonaises) et la guerre civile d’Ônin, qui ne s’arrête qu’à la mort des principaux meneurs. Kyôto est dévastée (résidences, temples incendiés), l’économie est au plus mal, le peuple a faim… mais Yoshimasa se fait construire une magnifique résidence à Higashiyama (construite à l’emplacement d’un temple détruit durant la guerre d’Ônin), comme une bulle hors de la réalité et dont il nous reste aujourd’hui le pavillon d’argent.