« Retraite du lettré dans un bosquet de bambous » de Shûbun (mars 2012)
Ce rouleau de papier inscrit et peint à l’encre de Chine aurait été réalisé vers 1449 (époque de Muromachi). Classé comme Trésor National et conservé au Musée National de Tôkyô, c’est l’un des chefs-d’oeuvre de la peinture dite shigajiku (peinture associée à de la poésie) réalisée grâce à la technique suiboku (lavis à l’encre de Chine) soulignée de quelques discrètes couleurs.
Attribué au moine Shûbun, l’illustration dépeint un paysage de montagne dans lequel un lettré (tout en bas à droite) est représenté en train de lire près de son hermitage niché dans un petit bois de bambous. Comme beaucoup de peintures de paysages de ce style, la présence humaine et la figuration d’une scène particulière (qui donne le plus souvent son nom à l’oeuvre) ne sont que des prétextes à la représentation d’un paysage majestueux, généralement montagneux.
Ce type de paysage, glorifiant la beauté de la nature et le silence, reflète les aspirations des peintres japonais qui, des les débuts de cet art, sont des moines bouddhistes et, en l’occurence, des moines Zen.
Ce style de peinture monochrome, à l’encre de Chine, fait son apparition au Japon à l’époque de Kamakura (époque où se développe le bouddhisme Zen dans l’archipel) suite aux voyages dans les monastères Chan du continent de certains moines bouddhistes japonais qui en rapportent des rouleaux illustrés de la dynastie contemporaine des Song du Sud. Ces rouleaux servent de canon pictural aux moines artistes de l’archipel qui les copient et les assimilent, avant de créer un style de peinture comparable mais de goût japonais.
Les premiers sujets de la peinture Zen dans l’archipel, comme ceux de Chine, sont les patriarches du bouddhisme Chan (Zen), des oiseaux et des fleurs. La technique de l’encre de Chine n’offrant aucune possibilité de retouche, les moines se sentent en accord avec ce style de peinture où la méditation préalable à l’élaboration est indispensable, où la spontanéité et l’instinct du geste sont essentiels et où ils trouvent un certain parallèle avec la soudaineté de l’Eveil du bouddhisme Chan.
Des annotations ou des poèmes (comme c’est le cas ici) complètent l’oeuvre du peintre (qui n’est pas forcément le calligraphe) et souvent décrivent les circonstances de sa création et donnent une date de réalisation.
L’apogée de la peinture à encre de Chine sur papier est la période de Muromachi (1336-1573), à laquelle appartient précisément cette oeuvre.
Depuis l’époque de Kamakura, l’art des peintres japonais s’est développé et le paysage est devenu une de leur grandes spécialités. Toujours inspirés des peintures de la dynastie des Song du Sud (et de ses célèbres peintres Ma Yuan et Xia Gui dont la composition de cette oeuvre-ci s’inspire très visiblement), les paysages chinois dépeints par les moines Zen (dont certains ont fait le voyage en Chine) sont remplacés peu à peu par des paysages locaux et des sujets de moins en moins religieux : on peint la nature pour sa beauté même (comme ici) et non une scène religieuse à laquelle le paysage ne sert que de décor. Les peintres japonais transposent également cet art de la peinture à l’encre sur papier, hérité de Chine, à des surfaces beaucoup plus grandes pour la décoration des intérieurs (paravents, panneaux coulissants) dès le début du XVè siècle et développent de nouveaux types de compositions comme les vues panoramiques de paysages (que ne permettent pas les rouleaux verticaux).
De grandes écoles de peintures se développent à la même période, toutes liées à des temples bouddhistes zen répondant aux commandes du shôgun et de son entourage, dont la plus célèbre est celle du Shôkokuji de Kyôto d’où sont issus Josetsu, Shûbun et Sesshû, les trois principaux maîtres de cette époque qui ont révolutionné la peinture japonaise. Car si cette dernière est fortement inspirée de la peinture des Song du Sud à ses débuts (les Song du Sud sont contemporains de l’époque de Kamakura), elle perdure dans ce style et reste la référence absolue des peintres japonais de la période de Muromachi, alors qu’en Chine, sous les dynasties contemporaines des Yuan et des Ming se développent de nouveaux styles. Comme souvent au cours de leur histoire, les japonais ont su assimiler les styles étrangers, choisir ce qui leur plaisait et le développer à leur façon.